Eymeric Bernard : “Le brandy devient premium”
On lit partout des articles sur la “tendance à la premiumisation” du marché du brandy. Quelle lecture en faites-vous ?
La premiumisation est en cours mais peut-on déjà parler de tendance globale ? Je crois qu’il faut apporter un peu de nuance, car on parle de marchés très hétérogènes en termes de maturité.
Si on prend les marchés chinois ou indien, la premiumisation prend la forme d’une exigence croissante des consommateurs. Elle correspond à l’émergence d’une classe moyenne qui exprime une appétence forte pour les marques occidentales et une garantie de qualité supérieure. La provenance et le savoir-faire – français notamment – deviennent prépondérants.
Sur ces marchés, bien que certaines marques historiques d'entrée de gamme utilisent principalement de la mélasse, le brandy tend vers une réelle évolution qualitative, avec notamment l’utilisation désormais majoritaire ou exclusive de raisin / vin.
Une plus grande attention est aussi portée au vieillissement long, à l’instar de Koya de Changyu.
Dans le même temps, une premiumisation inédite est en cours sur le marché américain. C’est la référence en matière de brandy. C’est le marché le plus mature, en termes de consommation comme de production. Là, on assiste à la percée de brandies premium et remarquables qui connaissent un vrai succès d’estime.
Une plus grande attention est aussi portée au vieillissement long, à l’instar de Koya de Changyu.
Lesquels par exemple ?
Les exemples sont assez nombreux mais pour en citer deux, à l’ouest et à l’est, et avec une approche très différente, je citerais Germain-Robin & Copper and Kings.
Sur la côte ouest, Germain-Robin est une référence premium. On est ici dans une approche traditionnelle et d’une grande exigence qualitative, avec l’idée d’appliquer la rigueur du processus du Cognac au vin californien. Les volumes sont assez faibles mais le succès est réel et tout à fait mérité. L’histoire est belle aussi. Celle d’un homme, Hubert Germain-Robin, parti de France avec son alambic sous le bras pour créer le meilleur brandy de Californie en 1982.
Dans un genre très différent, Copper and Kings s’est installé à Louisville, Kentucky en 2014. Sur cette terre de Bourbon, Joe Heron a fait une entrée plus que remarquée sur le marché du brandy avec la création d’une distillerie d’eaux-de-vie de vin et de pomme associée à une marque forte, empreinte de culture rock. Son nom est conçu comme celui d’un groupe de rock (NDLR : le fondateur aime Kings of Leon). Son identité visuelle noire et orange – évocatrice de l’alambic – marque un territoire reconnaissable, dans les codes craft. Et Joe Heron a su créer un concept global, avec par exemple la diffusion d’une playlist quotidienne de rock dans les chais, qui sont ouverts aux visiteurs, pour “influer sur le vieillissement du brandy”. Bien sûr le produit est très bon mais on constate que la marque et son storytelling collent à l’époque et en font un précurseur.
La premiumisation du brandy aux États-Unis est-elle seulement l’affaire de petites structures au savoir-faire remarquable et à la personnalité affirmée ?
la gamme de brandy "craft" Argonaut et de racheter Germain-Robin quelques mois plus tard. Ils ont intégré la marque, avec ses stocks de vieilles eaux-de-vie très qualitatives. Le marché américain est toujours précurseur et on peut sans trop de risque imaginer que ce mouvement va s’exporter dans le monde. Qui sait ? Peut-être même que la premiumisation mettra le brandy sur la carte du consommateur français ? Car la consommation du brandy en France, qui est pourtant sa terre de naissance, reste encore aujourd’hui anecdotique.
Copper & Kings a également été cédé à Constellation Brands , n° 2 du marché lors de ce rachat. Constellation a fait ensuite un choix encore plus radical en vendant sa marque de brandy d’entrée de gamme– Paul Masson – pour se positionner uniquement sur le brandy premium.
On peut aussi citer Diageo, qui a lancé Ciroc VS , la déclinaison en “French Brandy” de sa marque de vodka à base de raisin.
On n’est donc plus au stade des signaux faibles sur le marché américain. La demande est en forte croissance et les grands producteurs observent la catégorie avec intérêt ou ont déjà lancé une nouvelle dynamique de valorisation qualitative et quantitative.
On peut aussi citer Diageo, qui a lancé Ciroc VS , la déclinaison en “French Brandy” de sa marque de vodka à base de raisin.
On n’est donc plus au stade des signaux faibles sur le marché américain. La demande est en forte croissance et les grands producteurs observent la catégorie avec intérêt ou ont déjà lancé une nouvelle dynamique de valorisation qualitative et quantitative.
“Le brandy premium va s’étendre aux autres marchés.”
Les places sont donc à prendre sur les différents marchés du brandy premium dans les prochaines années. Que faut-il à un nouvel entrant pour se développer ?
Le premium commence avec la matière première : la qualité du vin est fondamentale, mais aussi le mode de distillation, le type de vieillissement, etc. Des approches spécifiques peuvent faire la différence, comme les brandies mono-cépages ou les double- barrels.
Si on prend l’exemple des cépages, le brandy a cela d’intéressant qu’il n’est pas cantonné à quelques-uns. Dans l’absolu, tous les cépages sont imaginables. On produit aujourd’hui des brandies de viognier ou de chenin blanc par exemples, ce qui s’entendait très peu jusqu’à présent.
Au-delà du produit en lui-même, la marque joue un rôle prépondérant. L’exemple de Copper & Kings que j’évoquais précédemment est éloquent à ce sujet. Il faut du talent de création. Un savoir-faire, une approche, un univers, une histoire. On constate qu’une marque forte peut transcender la segmentation des catégories de spiritueux.
Comment se positionne Lucien Bernard & Cie sur le marché du brandy de qualité ?
Nous possédons trois atouts majeurs : une profondeur de stock unique en Europe, quantitativement et qualitativement, une expertise reconnue d’assemblage et une fiabilité dans l’ensemble des étapes de commercialisation.
Nous mesurons aujourd’hui le potentiel de cette catégorie. Sa trajectoire pour les années à venir est une valorisation soutenue. Nous sommes prêts, avec dans nos chais de merveilleuses eaux-de-vie de vin qui, déjà, sont très demandées par le marché et la capacité d'accroitre ces volumes pour suivre la demande.
Mais pour nous, inspirer c’est aussi et surtout expérimenter. Le territoire à explorer est vaste. Nous lui dédions un chai. Pour reprendre l’exemple des cépages, on s’y intéresse de très près et on s’inscrit dans une logique de brandy d’appellation. Gros manseng, muscat rouge, chenin blanc… Les résultats sont plus ou moins probants. Ils sont parfois stupéfiants ! L’important pour nous est d’être dans cette dynamique.
“Cépages, distillation, vieillissement… Le territoire d’expérimentation est vaste.”
Dans le même ordre d’idée, nous pensons que nos réponses en termes de sourcing sont essentielles. Selon les objectifs et le cahier des charges de nos clients, on va rechercher une qualité de matière première, de raisin, qui se distingue. Pour atteindre cet objectif, on doit être capable – et nous le sommes – de travailler avec toute la diversité des vignobles du monde. C’est un environnement complexe et passionnant, composé d’une multitude de vins, d’origines, de terroirs.
“La capacité logistique doit être à la hauteur.”
Pour la distillation, selon les besoins, nous allons chercher des distillateurs à façon. Souvent avec l’alambic, qui demeure le mode de distillation le plus respectueux de la matière première.
Et puis l’élevage et le vieillissement participent aussi à la qualité du brandy bien sûr. Là aussi nous mettons en œuvre des barriques de différentes origines, ayant contenu grand vin blanc, bourbon, vermouth, de différentes capacités et typicités de bois… ce qui apporte des notes aromatiques particulières et une complexité supplémentaire.
Toutes ces recherches permettent de constituer la charpente d’un discours, une trame pour écrire de nouveaux succès avec nos clients.
Au global, le brandy de qualité est celui qui possède le levier le plus puissant de création de valeur au sein des spiritueux mondiaux.
La logistique aussi se doit d’être innovante ?
La logistique se doit de garantir les quantités nécessaires au développement de la marque, dans ses standards de qualité. On peut commencer à parler de brandy premium à partir de 36 mois de vieillissement. Ce qui veut dire que pour 1 million de litres vendus chaque année, il faut 3 millions de litres en stock. La capacité logistique demeure une condition indispensable au succès. Que le brandy soit premium ou non. Et il est certain que tout le monde ne peut pas répondre à cette nécessité et être en mesure d’adapter rapidement la capacité de production à des « success stories » comme on a pu en observer aux États-Unis.
Ces articles peuvent aussi vous intéresser : Bordeaux Paludate : un nouvel écrin pour Lucien Bernard